Dans son rêve, Yaacov vit une échelle qui s’étendait de la terre au ciel, sur laquelle des anges montaient et descendaient (Béréchit 28 ; 12).
Combien de barreaux comptait cette échelle ?
Le Radal (sur Béréchit Rabba 68 ; 12) interprète un Midrash selon lequel l’échelle du rêve de Yaacov comportait trois barreaux.
Rambam (Moré Névouhim 2 ; 10) cite un autre Midrash qui en mentionne quatre, opinion également partagée par le Kéli Yakar et le Mégalé Amoukot.
Le Rema dans son commentaire de la Méguilat Esther (Mechir Yayin Esther 1 ;14), rapporte un avis selon lequel l’échelle en comptait sept.
Rachi écrit (Béréchit 47 ; 28) que Yaacov réunit tous ses fils avant sa mort pour leur révéler le temps de la venue du Mashiah. D’où Yaacov tenait-il ce secret ?
Le Daat Zékénim (47 ; 28) explique qu’en comptant le nombre de barreaux de l’échelle dans son rêve, il put calculer la date de l’arrivée du Mashiah, ce qui implique que l’échelle comportait bien plus de barreaux.
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« Ce fut le matin et voici, c’était Léa » (Béréchit 29 ; 25)
Rachi rapporte la Guémara Méguila (13b) qui explique que « le matin c’était Léa », mais dans la nuit ce n’était pas Léa. Parce que Yaacov avait confié des signes secrets à Rahel, et lorsque Rahel vit qu’on donnait Léa à Yaacov comme épouse, elle se dit : « maintenant ma sœur va être humiliée ». Elle se leva et confia à Léa ces mêmes signes secrets.
Yaacov et Rahel avaient convenu des signes secrets pour que Yaacov puisse reconnaître sa véritable fiancée le soir du mariage. Lorsque Lavan substitua Léa à Rahel, Rahel transmit ces signes à Léa afin que Yaacov ne découvre pas la supercherie immédiatement et que Léa ne soit pas humiliée.
Ces signes étaient une sorte de code privé entre Yaacov et Rahel. En les donnant à Léa, Rahel lui permit de répondre correctement aux attentes de Yaacov, renforçant l’illusion que c’était bien elle. Il fallait préserver la dignité de Léa, Rahel accepta de sacrifier son propre bonheur immédiat pour éviter la honte publique de sa sœur.
Ce jour-là, Rahel a perdu l’espoir de se marier un jour avec Yaacov et l’espoir de mettre au monde les douze tribus. Et elle savait que probablement ce serait elle la future épouse d’Essav. Elle a tout sacrifié pour ne pas faire honte à sa sœur Léa.
Léa, quant à elle, pensait que Rahel lui enseignait simplement les lois nécessaires au mariage, lors de la transmission des signes secrets et lorsque Yaacov interrogea Léa pour vérifier son identité, elle donna naïvement la bonne réponse, ignorant tout du véritable but de l’examen.
Le lendemain matin, Yaacov découvrit la supercherie et alla se plaindre chez Lavan.
Cependant, Rav David Orlofsky souligne que le texte ne mentionne jamais que Yaacov ait remis Léa en question pour sa complicité dans la machination de son père. Jusqu’à sa mort, Léa ignora la vérité sur le geste généreux de sa sœur.
Rav Shalom Schwadron fait remarquer qu’en plus de l’immense bienveillance dont Rahel avait fait preuve envers Léa avant le mariage, elle accomplit une autre œuvre de bienfaisance en gardant le secret plutôt que de révéler ce qu’elle avait fait pour que Léa se sente redevable envers sa jeune sœur, sans l’aide de laquelle elle n’aurait jamais pu épouser Yaacov.
Cela se manifesta plus tard dans la Paracha (30 ; 14-15), lorsque le fils de Léa, Réouven, lui apporta du jasmin qu’il avait trouvé dans les champs. Rahel demanda à sa sœur de lui en donner un peu, ce à quoi Léa répondit sèchement : « Est-ce si peu de chose que tu aies pris mon mari et tu prendrais aussi le jasmin de mon fils ? » Rachel répondit simplement : « C’est pourquoi Yaacov sera avec toi cette nuit, en échange du jasmin de ton fils. »
Cela prouve que ni Yaacov ni Rahel n’ont jamais révélé le secret à Léa, qui a vécu toute sa vie en croyant que Yaacov l’avait choisie, et c’était elle qui, avec générosité, tolérait l’intrusion de sa jeune sœur dans leur relation.
À ce stade, la plupart des gens dans la position de Rahel auraient répondu à la raillerie de Léa en lui révélant la vérité, que Yaacov avait en réalité voulu l’épouser et que c’était elle qui, avec noblesse, avait permis à Léa de se marier en lui remettant les signes secrets.
Au lieu de cela, Rahel choisit de garder le silence et proposa généreusement de dédommager Léa pour les jasmins, alors même qu’elle souffrait énormément de son incapacité à avoir un enfant (30 ; 1). Garder le silence, surtout lorsqu’on est convaincu d’avoir raison et qu’on a une réplique cinglante toute prête, est l’une des choses les plus nobles, et les plus difficiles, qu’une personne puisse faire.
La Guémara Houlin (89a) enseigne que le monde est maintenu par le mérite de ceux qui se taisent lors des disputes.
De même, le Gaon de Vilna écrit que pour chaque instant où une personne garde le silence, elle gagne une lumière cachée si grande que même les anges ne peuvent la sonder.
Rahel possédait cette qualité rare et essentielle. Malgré l’immense tentation de remettre sa sœur à sa place, elle fit preuve d’une force surhumaine et choisit de garder le silence, générant ainsi un mérite incommensurable.
La prochaine fois que nous serons confrontés à une forte envie de répondre à une insulte par une réplique cinglante, souvenons-nous de l’engagement de Rahel à garder le silence et de la promesse de la Guémara Roch Hachana (17a) que lorsqu’une personne oublie le tort qu’elle a subi, Hachem oubliera également ses propres fautes.
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Après la naissance de son quatrième fils (Yéhouda), Léa dit : « …Cette fois, je remercierai Hachem. C’est pourquoi elle l’appela Yéhouda. Et elle cessa d’avoir des enfants. » (Béréchit 29 ; 35)
Rachi explique qu’à présent elle a voulu remercier Hachem car elle a reçu plus que sa part. (Yaacov avait 4 femmes, il devait engendrer les 12 Chévatim, cela fait 3 enfants par épouse. Avec la naissance de son quatrième enfant Léa avait un enfant de plus que ce qu’elle attendait, c’est pourquoi elle a remercié Hachem sur cet enfant en plus.)
Le Péroush HaTour Al HaTorah (à ne pas confondre avec le commentaire plus court du même auteur, connu sous le nom de Baal HaTourim) rapporte que Léa, reconnaissant avoir reçu sa juste part des Chévatim, ne demanda rien de plus et cessa donc d’avoir des enfants. Si l’on ne demande pas davantage, on n’obtient rien de plus.
On aurait pu penser, au contraire, que celui qui reçoit, puis remercie, ne devrait pas être avide en demandant toujours plus. Pourtant, le Tour affirme que si l’on remercie sans rien demander de plus, alors on ne mérite pas davantage.
En réalité, nous retrouvons cette même idée dans les propos du Rambam (Hilhot Bérahot 10 ; 26). Il écrit : « Le principe général est qu’il faut toujours implorer la miséricorde divine pour l’avenir et rendre grâce pour le passé. » Rambam nous enseigne que lorsque l’on exprime sa gratitude envers Hachem, il ne suffit pas de le remercier pour ce que l’on a déjà reçu, mais il faut aussi prier intensément pour ce que l’avenir nous réserve.
Dans la Téfila, dans le Modim qu’on dit pendant la répétition de la Amida, nous disons : « Nous Te remercions avec gratitude… Toi qui nous as donné la vie et qui nous soutiens. Puisses-Tu continuer à nous donner la vie et à nous soutenir… »
L’essence même du Hallel est de remercier Hachem, pourtant nous y introduisons cette prière : « Hachem, sauve-nous ! Hachem, accorde-nous le succès ! » Pourquoi y insérer une demande de salut et de succès futur ? Pourquoi ajouter dans nos remerciements cette requête pour l’avenir ?
Un principe se dégage : remercier Hachem ne suffit pas, il ne faut pas seulement Le remercier pour ce que nous avons reçu, mais aussi Lui demander ce que l’avenir nous réserve. Pourquoi ? À première vue, cela semble paradoxal. On pourrait penser qu’il faut être reconnaissant pour ce que l’on a reçu et ne pas être avide en demandant davantage.
Imaginons qu’une personne gagne 25 millions de dollars à la loterie. Quelle est sa réaction ? « Waouh ! » Je suis tranquille pour le reste de ma vie ! Plus de travail. Plus de patron. Plus rien. J’ai mes 25 millions de dollars. Je peux faire ce que je veux !
Un Juif doit savoir qu’on n’est jamais « tranquille pour le reste de sa vie ». Chaque jour, à chaque instant, notre vie dépend d’Hachem. Chaque minute est un don. En judaïsme, il n’existe pas de notion de :« J’y suis arrivé. Je suis tranquille pour le reste de ma vie. »
Ainsi, lorsqu’on rend grâce pour le passé, il faut se souvenir : « Merci Hachem pour cela, mais je reconnais que rien n’est acquis, et si Tu ne continues pas à me combler de Tes Bénédictions, je pourrais disparaître en un instant ! »
Le mot hébreu « Hodaa » a deux significations : remercier et reconnaître. Remercier, en fait, c’est aussi reconnaître, confesser notre totale dépendance à l’égard de l’aide et du soutien constants de notre Créateur, le Créateur de l’Univers.
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Et elle (Léa) déclara : « Cette fois, que je vais remercier (louer) l’Éternel » (29 ; 35)
En tant que mère d’un tiers des douze fils de Yaacov Avinou, Léa exprima maintenant sa gratitude envers Hachem, car Il lui avait accordé plus que sa part légitime (un quatrième enfant).
La Guémara Bérahot (7B) affirme au nom de Rabbi Chimon Bar Yohaï : « Depuis le jour de la création du monde, personne n’a rendu grâce à Hachem, jusqu’à ce que Léa vienne le remercier. »
Les questions sont évidentes : comment Rabbi Chimon Bar Yohaï peut-il suggérer que les patriarches n’ont pas remercié Hachem ?
Cette question est d’autant plus évidente si l’on considère qu’on doit réciter la bénédiction « HaTov VéHamétiv » (Qui est bon et dispense le bien), en ayant un fils. Avraham a accompli toute la Torah, il a certainement prononcé cette bénédiction.
De plus, le Midrach Tanchouma (Béréchit 25) enseigne qu’Adam HaRichon a récité Mizmor Chir LéYom HaChabbat, Tov LéHodot laHachem ; « Un chant pour le jour de Chabbat … Il est bon de remercier l’Éternel » (Psaume 92 ; 2).
Apparemment, Léa n’était donc pas la première à exprimer sa gratitude.
Et enfin, si la gratitude de Léa était si novatrice, pourquoi n’a-t-elle pas béni l’Éternel à la naissance de ses trois premiers fils ?
Rav Israël Yaakov Fisher zal, observe que la Torah divise la vie de Léa en périodes contrastées.
Sa jeunesse fut marquée par de nombreux pleurs, car elle devait épouser Essav. Finalement, Lavan échangea les jeunes filles et arracha à Yaacov la femme qu’il aimait et qu’il projetait d’épouser. Lorsque Yaacov découvrit qu’il était devenu une autre victime de la trahison de Lavan, il fut très contrarié. Il ne divorça pas de Léa. Elle resta son épouse et donc, ne tomba pas sous l’emprise d’Essav. Yaacov finit par épouser Rahel, et ils fondèrent une famille.
On comprend aisément que Léa ait vécu dans une grande tension. Elle pleurait constamment durant sa jeunesse.
Lorsqu’elle échappa enfin à l’emprise d’Essav, elle fut contrainte de vivre une vie où, en réalité, elle était « l’autre épouse ».
Cela se perçoit dans les noms qu’elle donna à ses trois premiers fils :
- Réouven : « Parce que l’Éternel a discerné mon humiliation »
- Shimon : « Parce que l’Éternel a entendu que je ne suis pas aimée »
- Lévi : « Cette fois, mon mari s’attachera à moi »
Lorsque Léa donna naissance à Yéhouda, son quatrième enfant, elle comprit qu’elle était l’héritière d’une bénédiction extraordinaire. Après toutes les épreuves endurées, elle avait enfin réalisé un accomplissement exceptionnel : elle avait donné naissance à un tiers des 12 tribus ! Le remerciement qu’elle fit à Hachem fut extraordinaire car il prenait en compte tout son passé.
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« Or, Rahel avait pris les Térafim (sorte d’idole) et les avait placés dans le coussin (la selle) du chameau et s’était assise dessus » (Béréchit 31 ; 34)
On peut se demander pourquoi Rahel s’est assise sur les idoles. N’y avait-il pas d’autre solution pour les dissimuler ?
En fait, les idoles ont une certaine force provenant du mal, et c’est ainsi que Lavan pouvait connaître des informations cachées grâce à ses Térafim.
Cependant Rahel voulait neutraliser leur pouvoir, et c’est pourquoi elle s’assit dessus.
Par cela, elle les humilia et les méprisa, car c’est très dégradant de s’asseoir sur quelque chose.
Or, toutes les forces obscures n’ont d’existence que si on leur accorde de l’importance. Dès lors qu’on les méprise, toutes ces forces disparaissent.
Ainsi, quand on place sa confiance uniquement sur Hachem et qu’on méprise le mal, automatiquement les forces du mal disparaissent.
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Yaacov dit à Lavan : « Cela fait 20 ans que je suis dans ta maison, Je t’ai servi 14 ans pour tes 2 filles et 6 ans pour tes moutons, et tu as changé mon salaire 10 fois. » (Béréchit 31 ; 41)
Après que Hachem eut ordonné à Yaacov de quitter la maison de Lavan et de retourner en Terre d’Israël, il obtint le consentement de ses épouses et entreprit le voyage de retour avec sa famille. Lorsque Lavan s’aperçut de leur absence, il les poursuivit et finit par les rattraper. Lors de l’échange qui s’ensuivit, Yaacov accusa Lavan d’avoir modifié frauduleusement les termes de son salaire et de son contrat de travail à cent reprises, accusation que Lavan ne nia pas.
Dans son ouvrage Ayélet HaShahar, Rav Aharon Leib Steinman rapporte que Rav Moshé Alchih prononça un jour une Dracha dans une synagogue de Tsfat, dans lequel il énuméra les cent manières différentes dont Lavan avait tenté de tromper Yaacov (le Siftei Hahamim et le Maharil Diskin détaillent ces cent manières). Le Arizal assistait au discours, et après la conclusion de l’Alchih, celui-ci lui demanda pourquoi il avait ri au milieu de la Dracha.
Le Arizal répondit que Lavan lui-même se trouvait parmi l’auditoire, et que, tandis que la plupart des cent tactiques étaient expliquées, il acquiesçait. Cependant, lorsque Lavan entendit l’une des astuces mentionnées, il murmura : « Quel dommage que je n’ai pas pensé à celle-ci ! », ce qui fit rire le Arizal.
Outre le fait qu’il s’agisse d’une histoire fascinante, Rav Steinman souligne qu’elle nous montre que les Middot (traits de caractère) d’une personne demeurent une partie intégrante d’elle-même, même après sa mort et son entrée dans le Monde à venir.
Il cite le Ramhal, qui écrit qu’un voleur en série continuera de chercher des objets à voler, même au Guéhinam.
Cela nous enseigne que ce qu’une personne fait d’elle-même durant sa vie devient sa réalité éternelle, même après son entrée dans le Olam HaÉmet.
Ainsi, même après avoir subi un châtiment inimaginable pour sa vie malhonnête, Lavan, lorsqu’il obtint enfin un sursis pour revenir sur terre et écouter le discours de l’Alchih à son sujet, ne manifesta que le regret d’avoir manqué une dernière occasion de profiter de Yaacov, car son penchant pour la tromperie était à jamais gravé dans son âme.
Heureusement, ce principe fonctionne aussi dans le bon sens : si nous mettons à profit notre temps sur terre pour perfectionner notre caractère, nous récolterons les fruits éternels de nos efforts dans le Monde à venir.
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