Matot Massé

PARACHAT MATOT MASSE

La Guémara Erouvin (13b) nous enseigne au nom de Chémouel que pendant trois ans l’école de Chamaï et l’école de Hillel étaient en discussion, chacune d’elle soutenant que la Halaha devait être fixée selon son opinion. On entendit alors une voix céleste qui annonça : «Les uns et les autres ont raison, mais c’est la loi selon l’école de Hillel qui est la bonne. »

La Guémara pose une question évidente : puisque les deux écoles ont raison, quel mérite particulier pouvait avoir l’école de Hillel pour prévaloir dans l’établissement de la loi ? La Guémara répond que les disciples de l’école de Hillel étaient humbles et qu’ils ne répondaient pas quand on les agressait verbalement. Ils étudiaient  les enseignements de l’école de Chamaï aussi bien que les leurs. Mieux encore, il leur arrivait de citer les opinions de l’école de Chamaï avant les leurs. Et la Guémara de conclure que Hachem élève celui qui s’humilie.

Cette réponse de la Guémara soulève une interrogation : Ici on cherche à fixer une loi pour les générations futures, on recherche donc celui qui est le plus féru en la matière. On a besoin de connaissances, pas de bonnes Midot. Celui qui a besoin d’une bénédiction va chez un Tsadik reconnu mondialement, mais celui qui veut connaître les lois de Chabbat ira chez un rav renommé, un Possek. Pourquoi avoir choisi l’école de Hillel parce qu’ils étaient modestes et non vindicatifs ? Ils auraient dû être choisi pour leurs compétences et leur érudition.

La Guémara Baba Métsia (86b) nous relate qu’une fois il y avait une discussion à l’Académie céleste au sujet de la pureté : on sait que si une tache sur la peau précède l’apparition d’un poil blanc, c’est un cas d’impureté, mais que si c’est l’inverse, la pureté est maintenue. Mais qu’en est-il s’il y a un doute sur l’ordre d’apparition des phénomènes ? Hachem disait que c’était pur mais toute la Yéchiva céleste disait que c’était impur.

Comment les départager ? On envoya alors chercher sur terre Rabah bar Nahmani car il était spécialiste des sujets d’impuretés. Mais l’ange de la mort ne parvenait pas à l’approcher car il étudiait sans cesse. Alors un vent se mit à souffler dans les arbres en faisant du bruit et Rabah bar Nahmani pensa que c’était une troupe de soldats qui était à sa recherche pour lui faire du mal. (Il était sous le coup d’une condamnation) Il se dit alors : « Puissé-je mourir plutôt que de tomber entre les mains des autorités ! ». Il mourut en disant : « pur, pur ». Une voix céleste annonça : Tu es heureux Rabah bar Nahmani, toi dont le corps est pur et dont l’âme a quitté le corps alors que tu prononçais le mot « pur ».

Cette Guémara soulève une autre interrogation : si Hachem lui-même affirme que c’est pur, comment des Talmidé Hakhamim, aussi grands soient-ils, peuvent-ils dirent le contraire ? Hachem connaît mieux que personne les lois de pureté qu’Il a Lui-même édictées ! Pourquoi avoir besoin de faire venir à la yéchiva céleste un être humain qui va trancher, d’Hachem ou des hommes, qui a raison ?

Dans la même idée, la Guémara Baba Métsia (59b) nous enseigne que si quelqu’un a découpé un four en terre cuite en sections horizontales, et a ensuite mis du sable entre les sections pour les raccorder, ce four n’est pas soumis aux règles du pur et de l’impur. Telle est l’opinion de Rabbi Eliézer, mais les autres Sages pensent le contraire.

Ce four porte le nom de Tanour chel Ahnaï, le four du serpent. Parce que les Sages ont entouré ce four d’arguments, comme un serpent encercle un objet, et ont prouvé son impureté. Rabbi Eliézer a présenté toutes les réfutations possibles aux arguments des Hahamim, mais ils n’en retinrent aucune et ont ensuite déclaré ce four susceptible de contracter l’impureté.

  • Si ma décision est la bonne, que ce caroubier le prouve, leur dit Rabbi Eliézer. Aussitôt le caroubier se trouva arraché de terre et déplacé de deux cents coudées.
  • Un caroubier ne prouve rien, dire les Sages.
  • Que ce courant prouve que j’ai raison !

Aussitôt l’eau du courant se mit à couler à rebours.

  • Un courant ne prouve rien, dire les Sages.
  • Alors ce seront les murs de cette maison d’étude qui le prouveront !

Les murs commençaient à s’incliner, ils allaient s’effondrer lorsque Rabbi Yéhochoua leur dit :

  • Si les Hakhamim se disputent à propos de Halakha, en quoi cela vous concerne-t-il ?

Les murs ne s’écroulèrent pas, par respect pour Rabbi Yéhochoua, mais ils ne se redressèrent pas non plus, par respect pour Rabbi Eliézer.

C’est alors que Rabbi Eliézer dit aux Sages :

  • Si mon jugement est le bon, que les Cieux le prouvent !

Aussitôt retentit une voix céleste qui déclara : « Qu’avez-vous à contester Rabbi Eliézer ? Son jugement prévaut en tout ! » À ces mots, Rabbi Yéhochoua se dressa sur ses jambes et s’écria : Lo Bachamaïm Hi, la Torah n’est pas dans les Cieux ! (Dévarim 30 ; 12)

Que voulait-il dire par-là ? Que depuis que la Torah nous a été donnée sur le mont Sinaï, nous n’avons pas à tenir compte d’une voix céleste, puisqu’il est écrit dans la Torah qu’on doit aller d’après la majorité (Chémot 23 ; 2).

Suite à cet événement, Rabbi Nathan rencontra le prophète Elie et lui demanda comment réagit Hachem au moment où Rabbi Yéhochoua protesta ? Eliahou Hanavi lui répondit : Il s’exclama en riant : « Mes enfants m’ont vaincu ! Mes enfants m’ont vaincu ! ».

Encore une fois nous nous étonnons sur cette capacité qu’a l’homme de s’opposer ouvertement à son Créateur. Au point que même Hachem, loin de se vexer de la réaction vive de Rabbi Yéhochoua, trouve plaisir à la chose.

En fait, pour comprendre ces trois textes de Guémara que nous avons cités, il faut savoir qu’ils reposent sur une idée particulière de l’homme, qui leur sert, pour ainsi dire de fil d’Ariane. Il y a un certain nombre de qualités nécessaires à l’acquisition de la Torah et la modestie et le fait de supporter l’autre et ne pas réagir à ses agressions verbales, en font partis. D’une certaine manière, l’école de Hillel maîtrisait plus ces qualités et c’est pourquoi la loi fut tranchée selon eux.

Hazal nous enseignent que : Torah, Israël VéKoudcha Bérikh Hou Had Hou ! (La Torah, le Peuple d’Israël et Dieu ne font qu’un !) L’homme érudit en Torah, le Talmid Hakham, devient en quelque sorte une part de la Torah, et peut donc trancher sur ce que dit la Torah ! (Tout en respectant, bien entendu, certaines règles, on ne peut pas dire n’importe quoi !) Et même, si besoin, s’opposer à Dieu. Non pas par bravade et révolte, mais parce qu’après mûres réflexions, il est arrivé à une conclusion, sa conclusion de la pensée de la Torah et donc de la pensée divine. Et selon la règle qu’on doit toujours aller d’après la majorité (Yahid Vérabim Halakha Kérabim), un quorum de Hakhamim l’emporte sur Hachem, car Il est seul et les Hakhamim sont plus nombreux.

Cette notion est tellement vraie que nous citerons pour conclure une Guémara très connue, Pessahim (22b) : Chimon Hamsouni, selon d’autres c’était Néhémia Hamsouni, qui avait l’habitude d’interpréter tous les Eth de la Torah (Eth est une particule qui introduit un complément d’objet direct défini. Ce peut être également une préposition signifiant “avec”).

Rachi explique que Eth vient à chaque fois inclure quelque chose. Et donc il a expliqué à chaque fois ce que la Torah inclus, mais arrivé au Passouk Eth Hachem Elokékha Tira, Tu craindras l’Eternel ton Dieu (Dévarim 1 ; 20) il s’est arrêté car il s’est dit : “Hachem est seul, il n’y a qu’un Dieu, c’est la base fondamentale de la religion juive, donc il n’y a  personne d’autre dont on pourrait inclure la crainte dans ce verset.”

Ses élèves lui ont demandé :

  • Mais que deviendront tous les Eth que tu as interprétés ?

Il répondit :

  • De la même façon que je recevrai un salaire pour ces Eth interprétés, j’en recevrai également un pour m’être abstenu.

Plus tard Rabbi Akiva est venu et il a interprété que le Eth de ce Passouk vient inclure les Talmidé Hakhamim.

Nous retrouvons encore cette idée de ressemblance, d’égal à égal entre le Talmid Hakham et Hachem. Nous devons en tirer un grand Moussar : jusqu’à où un être humain peut aller et se dire que si certains ont réussi, pourquoi pas nous ?

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