Vayigash 2020

PARASHAT  VAYIGASH 

Yossef vendu par ses frères est devenu Vice-roi d’Egypte et ces derniers ont dû s’adresser à lui pour s’approvisionner pendant la grande famine qui sévissait. Bien sûr ils ne savaient pas qu’ils avaient à faire à leur propre frère.

Dans notre Paracha, Yossef n’arrive plus à contenir son émotion et révèle enfin son identité à ses frères : « Il éleva sa voix en pleurs… et dit à ses frères : Je suis Yossef ! Mon père est-il encore vivant ? Et ses frères ne purent lui répondre car ils étaient bouleversés devant lui. Yossef dit à ses frères : Approchez-vous de moi …Et maintenant, ne soyez pas tristes et ne soyez pas en colère contre vous-mêmes de m’avoir vendu ici, car c’est pour la subsistance qu’Hachem m’a envoyé (en Egypte) avant vous » (Béréchit 45 ; 2-5)

Rashi explique que les frères avaient honte et qu’ils se sont mis à reculer en arrière.

Le Midrash Béréchit Rabba (93,10) dit : « Malheur à nous au jour du Jugement ! Malheur à nous au jour de la Réprimande ! Yossef était le plus jeune de ses frères et pourtant ils ne purent supporter sa réprimande. Comment sera alors notre embarras, lorsqu’Hachem Lui-même viendra réprimander chacun de nous en fonction de ce qu’il est devenu ? »

Ce Midrach utilise notre Paracha comme l’exemple type d’une réprimande qu’il faut redouter. Pourtant il ne semble pas a priori que Yossef ait parlé durement à ses frères ou qu’il ait émis le moindre reproche sur le fait qu’ils l’aient vendu par le passé. Au contraire, il semble plutôt qu’il essaye de les consoler ! Où se trouve donc la réprimande qui les a terrifiés ?

De plus, quelle différence y-a-t-il entre le « jour du Jugement » (Yom Hadine) et le « jour de la Réprimande » (Yom Hato’ha’ha) évoqués par le Midrach ?

Le mot To’ha’ha (réprimande) vient du verbe Léo’hia’h (prouver, démontrer la vérité) et se rapproche du mot No’ha’h qui signifie en face. En fait, lorsque nous comparaîtrons devant le Tribunal Céleste nous devrons rendre des comptes sur deux catégories d’actes :

  • Ceux clairement répréhensibles auxquels s’applique l’expression Yom Hadine : « jour du Jugement ».
  • Et ceux qui ne nous semblent pas franchement mauvais. Nous les justifions souvent par notre ignorance, notre incapacité ou des circonstances atténuantes, auxquelles s’applique l’expression Yom Hato’ha’ha (réprimande) car on nous montrera la vérité en face de nous.

Par exemple :

  • Un homme fortuné qui a investi des sommes considérables pour meubler et décorer son appartement et qui est resté quasiment insensible à des demandes d’aides financières sous prétexte « qu’il ne pouvait pas donner autant » verra ce jour-là, que son attitude était paradoxale.
  • Tel mari toujours enclin à faire du Hessed autours de lui mais récalcitrant pour aider sa femme à la maison sera mis devant ses responsabilités : « Comment peux-tu expliquer cette contradiction, quand ta femme te demande de l’aider tu n’as jamais le temps, mais tu en trouves toujours pour accompagner ton voisin faire des courses, l’emmener à l’aéroport ou pour passer des heures avec quelqu’un pour l’aider à résoudre un problème ? »
  • On raconte qu’un descendant du Hafetz Haïm, pendant une certaine période, ne venait plus à la Téfila organisée dans son Kollel tous les matins mais allait à un Mynian plus tard. Quand son Rosh Kollel l’a interrogé sur cette absence, il a répondu : « Le matin je me lève à l’heure pour aller à la Téfila mais en chemin je croise la maison d’une femme qui a huit enfants et qui ne s’en sort pas, alors je l’aide à habiller l’un, à faire le biberon de l’autre. Et quand je vois qu’elle peut s’en sortir toute seule je pars à la prière. » Le Rav intrigué lui dit : « Dis-moi où habite cette femme, moi aussi je veux l’aider et faire cette grande Mitsva. » Alors le descendant du Hafetz Haïm a répondu : « Non cela n’est pas la peine, cette femme avec huit enfants c’est ma femme. A chaque fois que je veux sortir pour aller à la Téfila je la vois débordée et je ne peux pas sortir de la maison sans l’aider. Mais j’arrive à attraper un autre Mynian où la prière commence plus tard. »
  • Un autre justifiera sa négligence vis-à-vis de l’étude de la Torah en prétendant qu’il n’avait pas l’intelligence requise pour s’y adonner, on lui prouvera que son intelligence a été mise au service d’actes plus difficiles encore.

En obligeant ses frères à faire venir Binyamin et donc à le séparer de son vieux père qui ne voulait le quitter sous aucun prétexte, Yossef fait prendre conscience à ses dix frères de la grande souffrance endurée par Yaakov d’avoir perdu un fils.

D’ailleurs, au début de la Paracha, Yéhouda emploie cet argument pour convaincre le Vice-roi (Yossef) de laisser Binyamin retourner chez son père : « Nous avons un vieux père et un enfant de sa vieillesse. Son frère est mort et il est resté le seul de sa mère (Ra’hel), et son père l’aime ».

Quand Yossef entend que Yéhouda lui reproche la souffrance qu’il cause à son père en gardant Binyamin en disant : « Comment puis-je retourner chez mon père sans le garçon ? » Yossef répond : « Ton autre frère n’était pas un voleur, et il n’avait fait aucun mal, et cependant tu as dit à ton père : Il a été déchiré par un animal. Dans ce cas tu peux sûrement dire à ton père à propos de ce frère qui a volé et qui a mal agi : Il a été dévoré. Dis-lui : La corde a suivi le seau ! Pourquoi n’as-tu pas pris en considération la souffrance de ton père lorsque tu as vendu ton autre frère pour vingt pièces d’argent ? »

En l’entendant Yéhouda se met à hurler et à pleurer, et il s’écrie :

– Comment puis-je retourner chez mon père si Binyamin n’est pas avec moi ? Tu as inventé une accusation après l’autre contre nous. Je n’ai qu’à tirer mon glaive de son fourreau pour remplir l’Egypte de cadavres !   

– Si tu tires ton épée, je te l’attacherai à ton cou ! Répond Yossef.

– J’ouvrirai ma bouche pour t’avaler !

– Je remplirai ta bouche avec une pierre !

– Mais que dirons-nous à notre père ?

– Dites-lui : La corde a suivi le seau.

– Mais ton accusation est fausse !

– Et la tienne lorsque tu as vendu Yossef, ne l’était-elle pas ?  

– Je teindrai de sang les places du marché d’Egypte !

– Vous êtes des teinturiers professionnels ! N’avez-vous pas trempé un vêtement dans le sang pour le montrer à votre père ? 

La colère de Yéhouda atteint son paroxysme, il est prêt à tuer ou à être tué. Yossef sait qu’il ne peut pas attendre plus longtemps, il doit se révéler à ses frères s’il ne veut pas qu’ils détruisent toute l’Egypte. Yossef fait sortir tous les égyptiens de la pièce afin de ne pas faire honte à ses frères lorsqu’il se dévoilera à eux. Il met ainsi sa vie à la merci de ses frères. Il leur dit : « Ce frère dont vous dites qu’il est mort, est-il vraiment mort ? 

– Oui, certainement.

– Vous êtes des menteurs ! Vous l’avez vendu ! Je l’ai acheté comme esclave et je vais envoyer le chercher. » Yossef appelle : « Yossef Ben Yaakov ! Yossef Ben Yaakov ! »

Les frères regardent dans toutes les directions, mais personne ne vient. « Où regardez-vous, demanda Yossef. Je suis Yossef votre frère. » Il ajoute à voix basse pour ne pas que les égyptiens à l’extérieur entendent : « Que vous avez vendu en Egypte. Mon père est-il toujours en vie ? »

Envahis par la honte, les frères ne peuvent répondre. 

A présent nous comprenons mieux le Midrash qui disait : Malheur à nous au jour du Jugement ! Malheur à nous au jour de la Remontrance !

Yossef était le plus jeune parmi les tribus, mais lorsqu’il a dit : « Je suis Yossef ! », les frères ont été envahis par la honte d’avoir mal agi.

Lorsque Hashem se révèlera à chacun de nous et annoncera : « Je suis Hashem ! » nous serons certainement incapables de répondre et nous aurons profondément honte de nous-mêmes.

Yossef savaient déjà que Yaakov était en vie, puisqu’il avait demandé lui-même : « Comment se porte votre vieux père, est-il en vie ? » (Supra 43-27). En réalité, Yossef leur fit une To’ha’ha (réprimande) : « Je suis Yossef », que vous avez vendu en Égypte, « Mon père vit-il encore ? » c’est-à-dire : Vous êtes-vous souciés pendant ces 22 dernières années de la terrible peine qu’éprouva mon père quand vous m’avez vendu et fait passer pour mort ? Comment pouvez-vous me reprocher cela aujourd’hui, pour Binyamin ?

La situation des 10 frères illustre magistralement ce qui attend l’homme au « jour de la Réprimande » : il sera pétrifié de voir à quel point ses actes se contredisent et comment il a reproché aux autres ce qu’il faisait lui-même.

Chacun pense toujours que quelle que soit sa manière d’agir, il a raison, car le Yetser Hara lui fait trouver des raisons logiques à son comportement. Les frères n’ont pas pu répondre à Yossef, et pourtant ils avaient trouvé de nombreux Hétérim pour le vendre et avaient même considéré cela comme une Mitsva. Mais maintenant la vérité était évidente.

Comment réussir à pénétrer son moi intérieur et toutes les justifications qu’on se donne pour autoriser ses actes ou ses paroles ? Quelles sont les vraies raisons et quelles sont les fausses dictées par le Yetser Hara ?

Une seule réponse : Moussar, Moussar et encore Moussar. Seule l’étude du Moussar peut aider une personne à s’analyser elle-même et à apprendre à voir chacune de ses actions à la lumière de la Torah.

En règle générale « Yécharim darké adam béénav », « Les chemins d’un homme sont droits à ses yeux ». C’est-à-dire qu’un homme n’arrive pas naturellement à voir ses propres problèmes ou incohérences pour les corriger.

Par contre lorsqu’il reçoit une réprimande cette possibilité lui est donnée. Cette réprimande peut venir d’un ami, d’un Rav ou même d’un évènement de la vie courante. Rav Dessler zatsa’l disait : « Tous les évènements que nous vivons sont des maîtres qui peuvent nous aider à nous améliorer. »

Encore faut-il savoir accepter la réprimande. En effet, il y a deux réactions face à une To’ha’ha :

  • Puisque la réprimande met l’homme face à ses erreurs, ses défauts, ses paradoxes … la douleur est telle que l’on pourrait être tenté de fuir cette réprimande ou l’ignorer, en niant complètement nos torts et en refusant de se remettre en question.
  • Par contre, l’homme Tsadik et courageux, à l’instar des frères de Yossef, acceptera la honte que la réprimande engendre car il sait qu’elle lui permettra de se construire, d’évoluer et c’est ce qu’il désire profondément.

Hachem attend des Béné Israël qu’ils soient en évolution de façon permanente, qu’ils ne cessent de se construire et de se parfaire car c’est pour ça qu’Il nous a créés. Pour cela, nous devons apprendre à accepter les To’ha’hot (réprimandes), et à saisir toutes les opportunités de s’améliorer même si pour cela il faut remettre en question plusieurs années de notre vie, et peut-être notre vie entière.

Hazal nous disent : « Si tu as des amis qui te complimentent et d’autres qui te corrigent, préfère ceux qui te corrigent car les premiers te font une bonté dans ce monde-ci tandis que les derniers, dans ce monde-ci et dans le monde futur. »

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